Ressources pédagogiques de la filière semences
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Peut-on concilier droit des créateurs
et libre accès à la diversité génétique des plantes ?

La création variétale est le fruit de recherches, souvent longues et coûteuses ; il est normal qu’elle soit protégée, au même titre que d’autres créations humaines. Mais parce qu’elle concerne le vivant, il a fallu trouver des solutions juridiques originales et qui continuent à évoluer.

La France et l’Union européenne, comme une majorité de pays, ont opté pour le Certificat d’obtention végétale (COV), pour protéger l’innovation variétale, qui garantit un libre accès à la ressource génétique. Certains pays, comme les Etats-Unis, appliquent aussi le brevet, qui obéit à une logique de type industriel, pour les variétés végétales.

Aujourd’hui, la propriété intellectuelle sur les biotechnologies risque de rompre un équilibre né il y a près d’un demi-siècle avec, en filigrane, une question sur l’accès à la diversité génétique des plantes.

UNE SITUATION QUI ÉVOLUE

Les biotechnologies constituent un secteur industriel important de l’économie européenne ; le spectre couvert est large, allant des produits médicaux et pharmaceutiques (55% des brevets relèvent des biotechnologies) aux procédés industriels (41%) et à l’agriculture (4%).

L’Office européen des brevets (OEB), office qui dépasse les frontières de l’Union européenne, délivre des brevets conformément à la Convention sur le brevet européen (CBE) qui est basée sur la directive 98/44/CE.

L’OEB délivre un brevet européen ; toutefois, les brevets européens délivrés doivent être validés et maintenus en vigueur individuellement dans chaque pays où ils produisent leurs effets. Ce processus est complexe et très coûteux : les exigences de validation varient d’un pays à l’autre et peuvent entraîner des coûts directs et indirects élevés, notamment coûts de traduction, taxes de validation et frais de représentation connexes.

Avec le développement des biotechnologies, des questions ont surgi. Les principales tiennent :

  • aux limites de la brevetabilité dans le domaine des plantes (1)
  • et à la coexistence du Certificat d’obtention végétale (COV) et du brevet (2),

sachant que la réglementation européenne prévoit qu’une variété peut être protégée uniquement par un COV, qu’il soit européen (délivré par l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV) ou national (délivré par un Etat membre de l’Union Européenne).

DES ENJEUX POUR L'AVENIR

L’accès à la diversité génétique des plantes est un enjeu majeur pour faire face aux questions de transition agroécologique, d’adaptation au changement climatique…

Actuellement, seul le Certificat d’obtention végétale garantit cet accès aux ressources ; son maintien est donc indispensable pour toutes les variétés et la sélection végétale. Demain cela pourra être aussi le cas avec le brevet unitaire et la juridiction spécialisée.

Laisser libre l’utilisation des variétés protégées est en effet la condition de l’avenir de la création variétale. Pour autant, la protection du travail de sélection est nécessaire au financement de la recherche.

Bien des questions restent posées aujourd’hui. Elles restent au cœur des débats fondamentaux des années à venir.

 

(1) Depuis la fin des années 90, le secteur de la sélection végétale a connu des avancées technologiques, notamment avec l’introduction des marqueurs génétiques dans la sélection végétale. Ces marqueurs, couplés aux techniques de sélection classiques, permettent d’obtenir des résultats plus rapides.

La Directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 indique qu’une invention, portant sur un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d’utiliser de la matière biologique, est brevetable, sous réserve qu’elle réponde aux conditions générales de brevetabilité (nouveauté, activité inventive et application industrielle). La matière biologique est définie comme « une matière contenant des informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique ». Une matière biologique isolée de son environnement naturel, ou produite à l’aide d’un procédé technique, peut tout à fait être l’objet d’une invention brevetable, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel, si les critères de brevetabilité sont remplis et l’application industrielle concrètement exposée. Ainsi, les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables, si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée. En revanche, la Directive prévoit que les variétés végétales, les races animales et les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention de végétaux ou d’animaux, c’est-à-dire consistant intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection, ne sont pas brevetables.

Par une décision de décembre 1999 (G1/98) de la Grande Chambre de Recours de l’OEB, il a été validé qu’une plante dans laquelle un gène naturellement absent de l’espèce est incorporé par voie génétique était brevetable.

En décembre 2010, dans les affaires dites « Tomate » et « Brocoli I », la Grande Chambre de Recours de l’OEB a indiqué que les procédés essentiellement biologiques utilisant des marqueurs génétiques pour la sélection ne constituaient pas de la matière brevetable. En mars 2015, dans les affaires dites « Tomate II et Brocoli II », elle a conclu qu’un brevet pouvait être octroyé pour les produits végétaux obtenus à partir de procédés essentiellement biologiques, si les conditions fondamentales de brevetabilité étaient réunies.

Entre 2010 et 2016, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas ont modifié leur législation prise en application de la directive 98/44/CE afin d’exclure expressément de la brevetabilité les plantes et parties de plantes obtenues par des procédés essentiellement biologiques. En France, la loi 2016-1087 sur la reconquête de la biodiversité a non seulement précisé le champ des exclusions de la brevetabilité (alinéa inséré dans l’article L. 611-19 du Code de la Propriété Intellectuelle) :

Les produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques définis au 3°, y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent ;

mais elle a également limité la portée du brevet, par un nouvel alinéa de l’article L. 613-2-3 :

La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées ne s’étend pas aux matières biologiques dotées de ces propriétés déterminées, obtenues indépendamment de la matière biologique brevetée et par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication.

En décembre 2015, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à la Commission européenne d’examiner la brevetabilité des produits issus de procédés essentiellement biologiques. Dans un avis publié en novembre 2016, la Commission européenne indique que « l’intention du législateur de l’Union européenne lors de l’adoption de la directive 98/44/CE était d’exclure de la brevetabilité les produits (végétaux/animaux et parties de végétaux/animaux) obtenus par un procédé essentiellement biologique »’. En novembre 2016, l’OEB a annoncé la suspension de toutes les procédures à ce sujet.

Le 5 décembre 2018, en considérant que certaines règles de décision sont contradictoires, la grande Chambre de recours de l’OEB est revenue en arrière sur la suspension en indiquant que les demandes devaient être réexaminées pour statuer sur les autres critères de brevetabilité.

Au-delà des questions sur la brevetabilité des gènes, il y a des enjeux économiques et scientifiques autour du libre accès à la diversité génétique des plantes.

(2) Le COV dans l’Union européenne peut être délivré par l’Office communautaire des variétés végétales avec un effet uniforme sur tous les pays de l’Union européenne ou par un pays comme la France avec un effet sur le seul territoire français.

Le COV permet :

  • de rétribuer le travail de l’obtenteur. Quiconque se sert de son matériel de reproduction pour le commercialiser doit acquitter une redevance comprise dans le prix de vente des semences ;
  • de laisser la ressource libre d’accès aux autres obtenteurs à des fins de recherche et de sélection (exception de sélection). N’importe qui peut utiliser librement et gratuitement la nouvelle variété pour en créer une autre, dès lors que la nouvelle variété est distincte de la variété initiale. Cela assure la continuité de l’amélioration génétique de chaque espèce végétale ;
  • tout amateur est autorisé à reproduire semences et plants d’une variété protégée pour son usage personnel et non commercial ; toute personne peut utiliser une variété protégée à des fins d’expérimentation.
  • De même, les pays peuvent autoriser que les agriculteurs aient la possibilité de réutiliser le produit de leur récolte pour ensemencer la suivante sur leur exploitation. Dans l’Union européenne, c’est autorisé pour une liste de 21 espèces (hors hybrides). Avec la protection française, en plus des 21 espèces communautaires, s’ajoute une liste de 13 espèces.

Les semenciers européens ont souhaité que l’exception de sélection et la possibilité de conduire des recherches et des expérimentations soient aussi applicables dans le cadre des brevets, tout en acceptant le principe que les nouvelles variétés qu’ils pourraient créer et protéger ne pourront l’être sans l’accord des titulaires des brevets d’origine si ceux-ci sont toujours présents dans ces variétés.

À terme, avec le brevet unitaire qui permettra d’obtenir une protection dans 25 États membres de l’Union européenne par le biais du dépôt d’une seule demande auprès de l’OEB (brevet européen délivré par l’OEB conformément aux dispositions de la Convention sur le brevet européen (CBE), avec sur demande du titulaire un effet unitaire et une protection uniforme dans 25 États membres de l’UE au maximum), et l’accord sur la juridiction unifiée, il est prévu au titre des limitations (article 27 de la juridiction unifiée) que les droits conférés par un brevet ne s’étendent à aucun des actes suivants:

a) les actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales ;

b) les actes accomplis à titre expérimental qui portent sur l’objet de l’invention brevetée ;

c) l’utilisation de matériel biologique en vue de créer ou de découvrir et de développer d’autres variétés végétales ; (…)

d) l’utilisation par un agriculteur du produit de sa récolte pour reproduction ou multiplication sur sa propre exploitation, pour autant que le matériel de reproduction végétale ait été vendu ou commercialisé sous une autre forme à l’agriculteur par le titulaire du brevet ou avec son consentement à des fins d’exploitation agricole. L’étendue et les conditions d’une telle utilisation correspondent à celles fixées à l’article 14 du règlement (CE) no 2100/94 (2) ; (…).